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Emile Zola (1840-1902), Germinal, 1885. (Vème partie, chap 5)

  Les femmes avaient paru, près d'un millier de femmes, aux cheveux épars, dépeignés par la course, aux guenilles montrant la peau nue, des nudités de femelles lasses d'enfanter des meurt-de-faim. Quelques-unes tenaient leur petit entre les bras, le soulevaient, l'agitaient, ainsi qu'un drapeau de deuil et de vengeance. D'autres, plus jeunes, avec des gorges gonflées de guerrières, brandissaient des bâtons ; tandis que les vieilles, affreuses, hurlaient si fort, que les cordes de leurs cous décharnés semblaient se rompre. Et les hommes déboulèrent ensuite, deux mille furieux, des galibots, des haveurs, des raccommodeurs, une masse compacte qui roulait d'un seul bloc,, serrée, confondue, au point qu'on ne distinguait ni les culottes déteintes, ni les tricots de laine en loque, effacés dans la même uniformité terreuse. Les yeux brûlaient, on voyait seulement les trous des bouches noires, chantant la Marseillaise, dont les strophes se perdaient en un mugissement confus, accompagné par le claquement des sabots sur la terre dure. Au-dessus des têtes, parmi le hérissement des barres de fer, une hache passa, portée toute droite ; et cette hache unique, qui était comme l'étendard de la bande, avait, dans le ciel clair, le profil aigu d'un couperet de guillotine.

  "Quels visages atroces !" balbutia Madame Hennebeau.

Négrel dit entre ses dents : "Le diable m'emporte si j'en reconnais un seul ! D'où sortent-ils donc, ces bandits-là ?"

    Et, en effet, la colère, la faim, ces deux mois de souffrance et cette débandade enragée au travers des fosses, avaient allongé en mâchoires de bêtes fauves les faces placides des houilleurs de Montsou. A ce moment, le soleil se couchait, les derniers rayons d'une pourpre sombre ensanglantaient la plaine. Alors, la route sembla charrier du sang, les femmes, les hommes continuaient à galoper, saignants comme des bouchers en pleine tuerie.

" Oh ! superbe !" dirent à demi-voix Lucie et Jeanne, remuées dans leur goût d'artistes par cette belle horreur.

   Elles s'effrayaient pourtant, elles reculèrent près de Madame Hennebeau, qui s'était appuyée sur une auge. L'idée qu'il suffisait d'un regard entre les planches de cette porte disjointe, pour qu'on les massacrât, la glaçait. Négrel se sentait blêmir, lui aussi, très brave d'ordinaire, saisi là d'une épouvante supérieure à sa volonté, une de ces épouvante qui souffle de l'inconnu. Dans le foin, Cécile ne bougeait plus. Et les autres, malgré leur désir de détourner les yeux, ne le pouvaient pas, regardaient quand même.

   C'était la vision rouge de la révolution qui les emporterait tous, fatalement, par une soirée sanglante de cette fin de siècle. Oui, un soir, le peuple lâché, débridé, galoperait ainsi sur les chemins ; et il ruissellerait du sang des bourgeois, il promènerait des têtes, il sèmerait l'or des coffres éventrés. [...]

Un grand cri s'éleva, domina la Marseillaise :     "Du pain ! du pain ! du pain !"

Complétez les phrases suivantes en utilisant le lexique du commentaire :

1) Le plus-que-parfait, indiquant l’antériorité de l’action par rapport aux autres, en montre la soudaineté et son caractère imprévisible. Le passé simple « parurent » ou l’imparfait  « paraissaient »  auraient choqué dans ce contexte.

2) Les allitérations en “g” et en « k » mettent en valeur le hurlement des femmes en colère.

3) La répétition de la voyelle “a”, (assonance), conjuguée aux sifflantes insiste sur la valeur symbolique de l’objet et son apparition fugitive mais menaçante.

4)  Le champ lexical de l’animalité renforcé tout au long du texte par une métaphore filée, met l’accent sur la violence de la manifestation et la perte d’individualité des mineurs.

5)  La couleur rouge symbolise à la fois le sang et la menace de la révolution.

6)  Les accumulations, nombreuses dans le texte, confèrent de la puissance à la description. Elles tendent d’ailleurs vers l’hyperbole en exagérant volontairement la sauvagerie de la scène.

7)  Le passé simple s’oppose à la durée de l‘imparfait : les hommes et les femmes semblent surgir de nulle part ! Notez le verbe débouler appartenant au lexique de la chasse.

8)   Chaque personnage est caractérisé par son comportement et le temps qui décrit ses actions.

9)  L’oxymore utilisée par Lucie et Jeanne condense en deux mots l’ambiguïté des réactions des bourgeois.

10) « Les yeux qui brûlent, les trous des bouches noires, le claquement des sabots » : autant de métonymies qui servent à déshumaniser les mineurs

11) Les adverbes, l’emploi du conditionnel et du discours (oui),  marquent la présence du narrateur dans le récit : ce sont des indices d’opinion.

12) Le champ lexical de la révolution (annoncé par la hache) complète désormais celui de l’animalité : Zola organise un réseau lexical pour prouver que la faim peut bouleverser l’ordre établi.