Le loup et l'agneau

La raison du plus fort est toujours la meilleure:
Nous l'allons montrer tout à l'heure.

Un Agneau se désaltérait
Dans le courant d'une onde pure.
Un loup survient à jeun, qui cherchait aventure,
Et que la faim en ces lieux attirait.
"Qui te rend si hardi de troubler mon breuvage?
Dit cet animal plein de rage:
Tu seras châtié de ta témérité.
-Sire, répond l'agneau, que Votre Majesté
Ne se mette pas en colère;
Mais plutôt qu'elle considère
Que je me vas désaltérant
Dans le courant,
Plus de vingt pas au-dessous d'Elle;
Et que par conséquent, en aucune façon
Je ne puis troubler sa boisson.
- Tu la troubles, reprit cette bête cruelle;
Et je sais que de moi tu médis l'an passé.
-Comment l'aurais-je fait si je n'étais pas né?
Reprit l'agneau; je tette encor ma mère
-Si ce n'est toi, c'est donc ton frère.
- Je n'en ai point. -C'est donc l'un des tiens;
Car vous ne m'épargnez guère,
Vous, vos bergers et vos chiens.
On me l'a dit: il faut que je me venge."
Là-dessus, au fond des forêts
Le loup l'emporte et puis le mange,
Sans autre forme de procès

1)       Où est placée la morale ? Quelles en sont les conséquences ?

2)       Commentez les sonorités du vers 4.

3)       Comment est présenté le loup aux vers 5 et 6?

4)       Le narrateur n’est pas neutre, à quoi peut-on le voir ?

5)       De quelle manière s’exprime l’agneau ? Quel ton utilise-t-il ?

6)       Commentez les deux derniers vers (temps, rythme, vocabulaire : « procès » )

7)       Comment comprenez-vous l’expression « On me l’a dit » ?

1° Cette « morale » semblait évidente à cette époque car la société était très hiérarchisée en trois ordres (noblesse, clergé, Tiers Ėtat). Le loup symbolise le noble guerrier et chasseur. Si elle est placée au début de la fable c’est qu’elle serait inutile à la fin ! Ici pas de suspens, l’agneau est condamné d’avance.

2° Les e muets ou prononcés rallongent le vers et imitent le son de l’eau qui coule.

3° Les trois éléments surlignés en jaune montrent que l’agneau n’a aucune chance, le loup est triplement motivé. Les carnassiers guettent le gibier au point d’eau.

4° Les quatre expressions surlignées en vert montrent que le narrateur soutient l’agneau, prend son parti, celui du plus faible.

5° L’agneau se défend par la politesse (Majesté, Sire, Elle) et par l’argumentation (par conséquent). Il se défend de façon logique mais le loup n’est pas accessible au raisonnement :  « la raison du plus fort » n’en est pas une…

« On me l’a dit » : de la mauvaise foi, l’accusation repose sur un préjugé, de toute façon le procès est truqué : il s’agit bien d’une « forme » de procès, mais une forme vide de justice.