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TEXTE 1
Michel Tournier reprend ici l'histoire de Robinson Crusoé, imaginée par l'écrivain anglais Daniel Defoe en 1719. C'est l'histoire d'un écossais, Robinson Crusoé, embarqué sur un voilier qui fait naufrage au milieu du Pacifique. Seul rescapé, Robinson échoue sur une île déserte. Il y vivra de longues années jusqu'à ce qu'un indigène, baptisé "Vendredi", trouve également refuge dans cette île. Les deux hommes doivent apprendre à vivre ensemble, malgré leurs origines différentes. Un jour, Robinson, excédé par le comportement imprévisible de Vendredi devenu son esclave, laisse exploser sa colère : il frappe sauvagement son serviteur. L'extrait suivant raconte comment, une fois calmé, il se rapproche de Vendredi.

En tournant un peu la tête à gauche, il voit le profil droit de Vendredi. Son visage est labouré d'ecchymoses et de coupures, et sur sa pommette proéminente s'écartent les lèvres violacées d'une vilaine plaie. Robinson observe comme sous une loupe ce masque prognathe1, un peu bestial, que sa tristesse rend plus buté et plus boudeur qu'à l'ordinaire. C'est alors qu'il remarque dans ce paysage de chair souffrante et laide quelque chose de brillant, de pur et de délicat : l'œil de Vendredi. Sous ces cils longs et recourbés, le globe oculaire parfaitement lisse et limpide est incessamment balayé, rafraîchi et lavé par le battement de la paupière. La pupille palpite sous l'action variable de la lumière, mesurant exactement son diamètre à la luminosité ambiante, afin que la rétine soit toujours également impressionnée. Dans la masse transparente de l'iris est noyée une infime corolle de plumes de verre, une rosace ténue, infiniment précieuse et délicate. Robinson est fasciné par cet organe si finement composé, si parfaitement neuf et brillant aussi. Comment une pareille merveille peut-elle être incorporée à un être aussi grossier, ingrat et vulgaire ? Et si en cet instant précis il découvre par hasard la beauté anatomique stupéfiante de l'œil de Vendredi, ne doit-il pas honnêtement se demander si l'Araucan2 n'est pas tout entier une addition de choses également admirables qu'il n'ignore que par aveuglement ?

Robinson tourne et retourne cette question en lui-même. Pour la première fois il entrevoit nettement, sous le métis grossier et stupide qui l'irrite, l'existence possible d'un autre Vendredi – comme il a soupçonné jadis, bien avant de découvrir la grotte et la combe, une autre île, cachée sous l'île administrée3.

Michel Tournier, Vendredi ou les limbes du Pacifique, 1972

1 prognathe : qui a les os de la mâchoire proéminents comme chez le singe.

2 Araucan : Vendredi est un indien métis de la tribu des Araucans.

3 île administrée : l'île telle que la souhaitait Robinson, c'est-à-dire aménagée et organisée selon les lois et coutumes de son pays d'origine.

TEXTE 2

Les sabots d'Hélène

Les sabots d'Hélène
Étaient tout crottés,
Les trois capitaines l'auraient appelée vilaine,
Et la pauvre Hélène
Était comme une âme en peine…
Ne cherche plus longtemps de fontaine,
Toi qui as besoin d'eau,
Ne cherche plus : aux larmes d'Hélène
Va-t-en remplir ton seau.
Moi j'ai pris la peine
De les déchausser,
Les sabots d'Hélèn' moi qui ne suis pas capitaine,
Et j'ai vu ma peine
Bien récompensée…
Dans les sabots de la pauvre Hélène,
Dans ses sabots crottés,
Moi j'ai trouvé les pieds d'une reine
Et je les ai gardés.

Son jupon de laine
Était tout mité,
Les trois capitaines l'auraient appelée vilaine,
Et la pauvre Hélène
Était comme une âme en peine…
Ne cherche plus longtemps de fontaine,
Toi qui as besoin d'eau,
Ne cherche plus : aux larmes d'Hélène
Va-t-en remplir ton seau.


Moi j'ai pris la peine,
De le retrousser,
Le jupon d'Hélèn' moi qui ne suis pas capitaine,
Et j'ai vu ma peine
Bien récompensée…
Sous le jupon de la pauvre Hélène,
Sous son jupon mité,
Moi j'ai trouvé des jambes de reine
Et je les ai gardées.
Et le cœur d'Hélène
N' savait pas chanter,
Les trois capitaines l'auraient appelée vilaine,
Et la pauvre Hélène
Était comme une âme en peine…
Ne cherche plus longtemps de fontaine,
Toi qui as besoin d'eau,
Ne cherche plus : aux larmes d'Hélène
Va-t-en remplir ton seau.

Moi j'ai pris la peine
De m'y arrêter,
Dans le cœur d' Hélèn' moi qui ne suis pas capitaine,
Et j'ai vu ma peine
Bien récompensée…
Et, dans le cœur de la pauvre Hélène,
Qui avait jamais chanté,
Moi j'ai trouvé l'amour d'une reine
Et moi je l'ai gardé
Georges Brassens, Poèmes et chansons, 1973


QUESTIONS

I - COMPÉTENCES DE LECTURE (10 points)

1 - Texte 1

Au cours de cette scène, quel changement s'opère progressivement dans le regard que porte Robinson sur Vendredi ? Justifiez votre réponse en citant des exemples tirés du texte. (3 points)

2 - Texte 2

Quelle attitude communément répandue, représentée par les trois capitaines, est dénoncée ici par G. Brassens ? Comment comprenez-vous la répétition par trois fois de "Moi j'ai pris la peine" ? (4 points)

3 - Texte 1 et Texte 2

Qu'est-ce qui permet de rapprocher ces deux textes ? (3 points)

II - COMPÉTENCES D'ÉCRITURE (10 points)

Dans la rubrique "Libres opinions" du journal de votre lycée, un élève affirme : "Ceux qui sont différents de moi ne m'intéressent pas". Vous décidez de lui répondre en défendant le point de vue opposé : "Cela vaut la peine de s'intéresser aux autres" (une quarantaine de lignes).



 

 
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