BACCALAUREAT PROFESSIONNEL
EPREUVE DE FRANCAIS
SESSION de juin 2000 - ANTILLES

 
 

 

 

 TEXTE 1

  Mardi 17 septembre

               Hier après-midi, je suis tombé amoureux d'un
arbre. Il passe ses jours au bord d'une route
départementale, à une dizaine de kilomètres d'ici. Son
feuillage surplombe une partie de la route. En traversant
l'ombre qu'il donne, j'ai levé la tête, regardé ses branches
comme à l'entrée d'une église les yeux se portent d'instinct
vers la voûte. Son ombre était plus chaude que celle des
églises. Une des plus fines expériences de la vie est de
cheminer avec quelqu'un dans la nature, parlant de tout et
de rien. La conversation retient les promeneurs auprès
d'eux-mêmes, et parfois quelque chose du paysage impose
le silence, impose sans contraindre. L'apparition de cet
arbre a fait surgir en moi un silence de toute beauté.
Pendant quelques instants je n'avais plus rien à penser, à
dire, à écrire et même, oui, plus rien à vivre. J'étais soulevé
à quelques mètres au-dessus du sol, porté comme un
enfant dans des bras vert sombre, éclaircis par les taches
de rousseur du soleil. Cela a duré quelques secondes et ces
secondes ont été longues, si longues qu'un jour après elles
durent encore. Je ne retournerai pas voir cet arbre - ou bien
dans longtemps. Ce qui a eu lieu hier m'a comblé. Il me
semblerait vain d'en vouloir la répétition. Vain et inutile :
en une poignée de secondes, cet arbre m'a donné assez de
joie pour les vingt années à venir - au moins.
Christian Bobin
Autoportrait au radiateur, 1997

TEXTE 2

Enfin, il y a ceux-là - et ce sont les artistes, les poètes, et
donc un peu tout le monde - qui, simples amoureux de la nature,
entendent la conserver parce qu'ils y voient un décor vivant et
vivifiant, un lien maintenu avec la plénitude originelle, un refuge
de paix et de vérité - "l'asile vert cherché par tous les cœurs
déçus" - parce que, dans un monde envahi par la pierraille et la
ferraille, ils prennent le parti de l'arbre contre le béton, et ne se
résignent pas à voir les printemps silencieux...

Jean Rostand,
Extrait de la préface de L'Homme ou la Nature.


DOCUMENT ICONOGRAPHIQUE

M'BOR FAYE (1900-1984) Sénégal, L'Arbre à palabres *

* palabres : en Afrique, assemblée où se discutent les problèmes de la communauté


QUESTIONS

I - Compétences de lecture (10 points)

1 - Relevez et commentez au moins deux procédés utilisés par Christian Bobin pour évoquer l'arbre.     (3 points)
2 - Les textes 1 et 2 font l'un et l'autre de l'arbre un symbole. Précisez lequel et indiquez 
les différences qui existent entre les deux textes. (3 points)
3 - Document iconographigue : Décrivez les éléments les plus significatifs du dessin. Dites en quoi ce dessin fait écho aux deux textes.               (4 points)

II Compétences d’écriture (10 points)

   Une association de quartier à laquelle vous appartenez lance un concours d'idées pour trouver son logo, à partir de la question: "quel symbole vous semble le plus approprié pour illustrer la vocation d'entraide, de rencontre et d'animation socio-culturelle de notre association?"

Avec un groupe d'amis, vous rédigez trois propositions argumentées que vous
transmettez aux membres du bureau de l'association.
               L'ensemble des textes totalisera une quarantaine de lignes.

N.B. Afin de respecter les règles de confidentialité, votre texte ne révélera ni votre identité, ni le lieu où il est écrit

ELEMENTS DE CORRIGE

I Compétences de lecture

1-               Relevez et commentez au moins deux procédés utilisés par Christian Bobin pour évoquer l'arbre.
(3 points)
Plusieurs procédés peuvent être repérés dans l'évocation de l'arbre.

Le propre de la personnification est d'attribuer des caractéristiques humaines à un objet. L'arbre est ici assimilé à une personne vivante, à un être humain: « je suis tombé amoureux», «il passe ses jours », «des bras vert sombre ». Ce procédé permet de dire l'importance, l'aspect exceptionnel de la rencontre - semblable à celle d'une rencontre amoureuse entre deux personnes -, de dire sa dimension unique.

On relève deux comparaisons : « comme à l'entrée d'une église» met en relation les branches de l'arbre et les voûtes d'une église et souligne ainsi le caractère religieux, solennel, du moment.« [...J porté comme un enfant » précise l'état d'esprit de l'énonciateur, à la fois transporté et transformé.

Le réseau lexical du temps est particulièrement significatif: il renvoie au moment de la rencontre («Mardi 17 septembre», «Hier après-midi », «Ce qui a eu lieu hier») ; il renvoie aussi à la qualité de la rencontre, brève et intense («Pendant quelques instants... », «Cela a duré quelques secondes et ces secondes ont été longues, si longues... », «en une poignée de secondes»); il renvoie en outre au temps qui suit la rencontre lorsque « [les secondes]durent encore » et au  temps futur («les vingt années à venir »).

La relation de cet événement est faite sur le mode du discours : emploi du passé composé essentiellement, énonciation à la première personne. La rencontre et l'émotion qu'elle a suscitée sont ainsi rendues plus vivantes, plus proches. Il s'agit d'un journal et Christian Bobin raconte «à chaud » ce qu'il a éprouvé comme s'il s'adressait directement au lecteur (en témoigne, par exemple, la tournure «et même, oui, plus rien à vivre » qui relève de l'oral). Dans cette évocation au passé, trois phrases se distinguent (de «Une des plus fines expériences... » jusqu'à «. . .sans contraindre » ) rédigées au présent, elles ont valeur de vérité générale, de précepte. Elles viennent expliquer l'émotion ressentie, soutenir le propos.

La composition du texte et son rythme traduisent le cheminement de la pensée de 1'énonciateur le nombre de mots restreint, les reprises de mots contribuent au ralentissement de lan phrase, donnent l'impression de suspendre le temps.

NB.: dans le libellé de la question on prendra le mot «procédé » au sens large (ensemble des procédés d'écriture) et non au seul sens des figures de style.

2-               Les textes 1 et 2 font l'un et l'autre de l'arbre un symbole. Précisez lequel et
indiquez les différences qui existent entre les deux textes.            (3 points)  .

L'arbre rencontré - et personnifié - est prétexte à une réflexion sur la vie, sur l'existence. Il est le point de départ d'une expérience intérieure. Il permet de donner un sens à l'existence («en une poignée de secondes, cet arbre m'a donné assez de joie pour les vingt années à venir»). il devient  ainsi le symbole de la joie de vivre, du bonheur d'exister.

Jean Rostand évoque «le parti de l'arbre contre le béton ». L'arbre incarne à lui seul la nature dans son ensemble. Il en devient le symbole. Plus largement, il est l'expression symbolique de tous ceux qui se préoccupent de la défense de l'environnement souillé par «la pierraille et la ferraille [et] le béton».

Dans le texte extrait du journal personnel de Christian Bobin, l'arbre est le point de départ d'une démarche personnelle, intime, presque philosophique. L 'auteur parle en son nom propre. Dans le texte vigoureusement argumentatif de Jean Rostand, l'arbre est, en quelque sorte, utilisé au service d'une cause. L'auteur se fait le porte-parole des «amoureux de la nature».

3 - Document iconographique : Décrivez les éléments les plus significatifs du
dessin. Dites en quoi ce dessin fait écho aux deux textes.               (4 points).

Lorsque l'on observe le dessin de M'Bor Faye, on est frappé par la place qu'occupe l'arbre : non seulement il occupe la place centrale mais aussi les deux-tiers supérieurs de l'espace du dessin. Le tronc apparaît épais, solide, fortement enraciné ; le feuillage est dense, touffu. L'assemblée des villageois disposés autour de l'arbre semble abritée, dominée par un parapluie végétal protecteur. La forme circulaire du feullage fait écho au cercle formé par les hommes. Par sa composition, ses lignes rondes, le dessin suggère une impression d'harmonie, d'équilibre, d'apaisement.

L'arbre est le lieu de rencontre de la communauté, lieu de paroles et de débats où se prennent les décisions importantes pour la vie du village ; il protège - dans tous les sens du terme ; il écoute - c'est un confident. Ses racines, sa taille, sa prestance, sa place centrale sont éminemment symboliques. Il est la mémoire, l'incarnation de l'âme du village.

Ainsi mis en valeur dans le dessin, l'arbre fait écho aux deux textes dans la mesure où il est considéré non comme un simple végétal mais est la représentation concrète d'une idée. Dans le dessin comme dans les deux textes, l'arbre est érigé en symbole porteur de sens multiples.

II - Compétences d'écriture (10 points)
   Une association de quartier à laquelle vous appartenez lance un concours d'idées pour
trouver son logo, à partir de la question : "quel symbole vous semble le plus approprié
pour illustrer la vocation d'entraide, de rencontre et d'animation socioculturelle de
notre association ?"
   Avec un groupe d'amis, vous rédigez trois propositions argumentées que vous
transmettez aux membres du bureau de l'association.
  L'ensemble des textes totalisera une quarantaine de lignes.
Quelques critères d 'évaluation

- respect de la longueur ("une quarantaine de lignes")

- qualité de l 'expression (syntaxe, orthographe, richesse du vocabulaire)

- graphie et présentation

- organisation du texte : présence de trois propositions distinctes et prise en compte de la situation de communication (émetteurs, destinataire)

- cohérence du texte (en particulier l'énonciation)

- on attend pour chaque logo non une simple description mais une description associée à une explication à visée argumentative

- pertinence des propositions (prise en compte des caractéristiques de l'association, efficacité et accessibilité du message...)

- on valorisera l'originalité des propositions avancées

Corrigé Bac Pro  JP DURAND H GERMAIN IEN Lettres Rectorat de Nantes juin 2000

Document couleur (bac. pro. Antilles 2000)

Source : :Textes et Documents pour la classe N°675 (1-15 mai 1994) - Littératures africaines

M'BOR FAYE (1900-1984) Sénégal, L'Arbre à palabres

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