LA PETITE GORGÉE Mon millénaire m’a mis les nerfs On attendait le bogue et on a eu les bâches. Boudins truffés dans l’assiette, boudins flottants dans l’estuaire, boules de sapin et galette de mazout, ministre de l’Environnement et garde des seaux, branches de gui et chênes déracinés. Prairies inondées. Jours de l’an terne à la bougie. Nous sommes des nains qu’une tempête majuscule cloue au sol. La terre s’est fâchée et nous met à la rue. Où sont nos rêves d’an 2000 ? Où sont les chimères, les lendemains radieux, les sciences fiction de nos enfances qui promettaient la félicité à tous les étages, le bonheur niais et les jardins d’Eden ? Les scénarios biens ficelés des futuristes étaient donc des délires balayés par la bourrasque qui s’est invitée, l’intruse, sans que l’on y puisse grand chose. Qu’est-ce qu’un jus d’ordinateur face à une mer en furie ? Rien. C’est quoi l’air du temps quand le vent est fou ? Broutilles. Le chagrin fait partie de la vie. La colère aussi. Les compagnies pétrolières « externalisent » le transport juteux de l’or noir sur des bateaux douteux qui se coupent en deux. Les tuiles s’envolent et l’homme trébuche, résiste, écope, racle les rochers souillés, fait le gros dos, pense parfois, entre deux pelletées puantes, que l’Erika n’est pas un navire usé mais un système cynique, hautain et naufrageur. La plage que j’aime est pleine de pétrole et d’inadmissible, jonchée d’oiseaux morts et d’illusions perdues. Monsieur Total, je vous envoie la note, elle est salée. Je vous remercie quand même pour le plein de lucidité : grâce à vous, nous savons que l’avenir n’est pas fait de quincaillerie ultra moderne, de super sans plomb, de DVD et de portables. L’avenir, c’est d’avoir un voisin qui vous donne la main. Nous avons envie de gadgets mais nous avons besoin de voisins. Inconsolablement... François SIMON. OUEST-FRANCE, 8/9 janvier 2000 |
Dans le journal Télérama du 1er au 7 janvier 2000, le journaliste Christian Sorer se projette en 2100 et imagine l’ancienne vie de... l’an 2000 ! En l’an 2000, les gens mangeaient des produits issus de la terre. En l’an 2000, les gens étaient enfantés à l’intérieur de leur mère, comme les animaux. En l’an 2000, avoir un enfant ressemblait à une loterie : on ne pouvait ni décider ni de son sexe, ni de sa taille, ni de la couleur de sa peau, ni de ses aptitudes à venir. En l’an 2000, les gens restaient malades longtemps. Les maladies étaient des sortes de pannes qui pouvaient durer des semaines, parfois des mois. En l’an 2000, même les maladies virales - le sida, la maladie de Creutzfeld-Jacob, la grippe, parfois - étaient mortelles. On se contentait de retarder l’échéance en soignant, tant bien que mal, leurs symptômes. En l’an 2000, pour réparer les organismes, les médecins prescrivaient des médicaments peu différents des potions du Moyen-Age et allaient parfois jusqu’à ouvrir les corps au scalpel. En l’an 2000, pour la majorité de la population, l’espérance de vie était inférieure à 100 ans. |
C’était une splendide nuit d’automne sur le belvédère de Tragara. Dans la nuit sans lune, Jupiter resplendissait, suivi de près par Saturne, cependant que, juste au-dessus, la nébuleuse d’Andromède luisait doucement, et que la Voie lactée traversait toute la voûte céleste, emportant le Cygne et sombrant dans le Sagittaire. Exactement comme il y a deux mille ans, au temps où Tibère dirigeait l’empire depuis cette île, pensais-je. Mais non, pas exactement : je sais, moi, que Jupiter est une planète géante, faite d’hydrogène et de méthane, que Saturne a des anneaux, que la Voie lactée est, vue sur la tranche, un disque fait de centaines de milliards d’étoiles, que la nébuleuse d’Andromède est une autre galaxie, que sa lumière est constituée de photons... Et de trop vite m’exalter à la pensée de tout ce savoir, accumulé en si peu de temps par la science : moins de quatre siècles ont passé depuis que Galilée distingua les étoiles de la Voie lactée, moins d’un siècle depuis que la galaxie d’Andromède nous est connue pour telle... Notre savoir est tout neuf : la cellule a cent cinquante ans, la radioactivité cent, le code génétique pas cinquante. Mais comment alors ne pas s’interroger sur sa stabilité ? Une attention inquiète devant cette jeunesse de la science me semble de mise. Jean-Marc LEVY-LEBLOND (Physicien, membre du comité scientifique de la revue Eurêka) EUREKA, n°51, janvier 2000. |